L'histoire du théâtre Mogador

La construction du théâtre
Le théâtre Mogador fût construit sur d'anciennes écuries, et commandité par Alfred Butt, un impresario anglais. Sa construction s’étendit de 1913 à 1919 et il fût conçu par Bertie Crewe (l'un des principaux architectes de théâtres anglais du boom de 1885 à 1915).
Une construction laborieuse, qui se déroule pendant la guerre et qui voit quelques complications : en 1918, le théâtre est en effet bombardé par des « Pariser Kanonen » (les canons de Paris), de l’armée allemande – soit les pièces d'artillerie les plus grandes en service durant la Grande Guerre. Ces canons sont communément surnommés « la Grosse Bertha » par les Français, terme qui désigne en réalité un autre canon allemand. En 1919, le théâtre est finalement inauguré, à l'issue de la guerre, par le Président américain Woodrow Wilson, de passage à Paris pour la signature du traité de Versailles. A sa création il est nommé le Palace Théâtre, avant de devenir le théâtre Mogador, car il est situé au 25, rue de Mogador (ancien nom de la ville d'Essaouira au Maroc).
Un théâtre à l'italienne
Le théâtre Mogador est un théâtre « à l’italienne », appartenant à un courant de la fin de la Renaissance, où tous les sièges sont conçus pour être face à la scène. La plupart des théâtres parisiens sont construits selon le modèle classique des théâtrons grecs et romains, c’est-à-dire en demi-cercle, là où le théâtre Mogador emprunte une forme plus originale de cette architecture. Ce modèle est parfois dit "à l'anglaise" car il s'agit d'une forme architecturale très usitée en Angleterre pendant la période du boom de 1815 à 1915.
La salle du théâtre Mogador ressemble de ce fait quasiment similaire à celle du Palace théatre de Londres évoquée précédemment. L'architecture est un véritable témoin de cette Histoire. Au même titre, les ornements qui décorent l'atrium illustre la vocation première de la construction du théâtre. Le lieu fût édifié pour le musical. Pour preuve, sur les côtés gauche et droit de la salle, on aperçoit des chérubins avec une lyre à la main, symbole du temple du musical.
Le temple du Music-Hall
Le théâtre est un lieu dédié, dès le départ, pour le musical et son emplacement n’est pas anodin : il se situe à équidistance parfaite du Casino de Paris et de l’Opéra Garnier. Un positionnement géographique qui fait le parallèle avec le positionnement stratégique du commanditaire du théâtre. Son architecture s’inscrit dans la tradition des music-halls londoniens du début du XXème siècle : Le vaste hall rectangulaire mène directement au parterre et dessert latéralement les balcons. Son plafond et sa coupole évoquent ceux du Victoria Palace de Londres, également créé par Alfred Butt. Les décors se veulent simples et élégants, avec moulures, corniches et peintures en trompe l’œil. Le théâtre fût conçu comme une salle de revue. Le parterre est donc créé pour accueillir un public qui se tient debout.

Le départ d'Alfred Butt et le théâtre maudit
Plusieurs monuments du musical et de l’opérette se sont produits sur la scène du Mogador : De l’Auberge du cheval blanc à Starmania, en passant par Marcel Merkès, Douchka, Hullo Dolly ou encore Paulette Merval, le théâtre a vu sa scène foulée par de grands talents. Des artistes ont également une histoire liée au théâtre, tels que Jacques Weber, Annie Cordie ou encore, Barbara. Mais cela n'a pas toujours été le cas.
A la désertion d'Alfred Butt, le théâtre va connaître le destin des lieux dits « maudits » de Paris. Dans les années 1920, la salle est successivement dirigée par plusieurs directeurs, et change de répertoire, et même de nom, mais le public n’est pas au rendez-vous. Le seul triomphe est celui des Ballets russes, brièvement locataires de la salle de spectacle. Au bord de la faillite, l’idée de transformer le théâtre en centre commercial pour concurrencer les galeries Lafayette est même évoquée. Le lieu est finalement « sauvé » lorsqu’il est racheté par Paramount et devient un cinéma. L’enseigne finit toutefois par fermer ses portes au bout de 2 ans. En 1925, ce sont finalement les frères illusionnistes Emile et Vincent Isola qui récupèrent la direction du théâtre. Ces deux derniers ont une expérience solide des scènes parisiennes et pour cause : ils sont les créateurs des Capucines, mais également, ceux qui ont fait de l’Olympia une salle mythique et relancé l’activité des Folies Bergères, de la Gaité lyrique avant de se partager la direction de l’Opéra-comique et du théâtre Sarah Bernardt. Les deux magiciens sont moqués et attendus au tournant : face à la malédiction de Mogador, tout le monde annonce leur chute, alors qu’eux sont confiants.
La direction des frères Isola
Les frères Isola font un pari risqué : ils décident de ramener de Londres les oeuvres qui y triomphent pour les présenter au public français. A l’époque, les Parisiens considèrent que les succès londoniens sont condamnés à faire des flops à Paris. Mais les deux frères y croient. En 1926 voit le jour la première grande opérette moderne produite par le théâtre, "No No Nanette". L'oeuvre avait été jouée en 1925, au Palace théâtre de Londres. La recette des deux frères est très simple : sujets allégés, rythme accéléré emprunté au music-hall, musique entêtante et surtout, effets visuels époustouflants (que l’on pensait alors réservé au cinéma). Au fil des spectacles, ils déclinent leur extravagance et leur fantaisie presque futuriste pour l’époque. Leurs productions sont pharaoniques et rivalisent d’ingénuité.
Et ça marche : pendant 10 ans, les productions sont couronnées de succès et Mogador devient gage de qualité. L’auberge du cheval blanc fait plus de 700 représentations et est l’objet de plusieurs reprises. Ce succès se retrouve freiné à la fin de la décennie, lorsque les frères sont rattrapés par leur gestion ruineuse du théâtre Sarah Bernardt. Leur réputation se retrouve entachée d’accusations d’escroquerie et ils sont ruinés. Le théâtre devient un "garage". Il accueille néanmoins de grands spectacles tels que Mistinguett en 1937, ou la Féerie blanche en 1938.
La direction d'Henri Varna
La direction est récupérée par Henri Varna en 1939, dirigeant du Casino de Paris et d’autres salles prestigieuses de la capitale. Ce dernier décide de relancer un genre jusqu’alors éteint : celui de l’opérette française de la deuxième moitié de XIXe siècle. Ce répertoire rencontre un franc succès, en pleine période d’occupation, sous le régime de Vichy qui prône un retour aux valeurs traditionnelles.
Mogador sort de sa malédiction et devient un conservatoire de la musique française. Cette période est marquée par la course au luxe et à l’abondance dans le spectacle vivant et le théâtre Mogador ne déroge pas à la mode. Pour Les Saltimbanques (1941), un chapiteau et des attractions sont même construits dans le théâtre. La mort d’Henri Varna en 1969 marque la fin de la troisième vie de Mogador.
La direction de Maurice Lehmann
La direction du théâtre est assurée par le célèbre Maurice Lehmann, fort de ses triomphes au Châtelet. Il pense pouvoir raviver les cendres encore brûlantes du succès des frères Isola. Il y produit donc l’opérette Balaïka, mais c’est un échec cuisant. En hommage aux frères Isola et pour sauver le théâtre de la faillite, il reprend l’Auberge du Cheval blanc.
Au cours des quatre décennies suivantes, le Mogador voit défiler 8 directeurs, qui parviennent tant bien que mal à sauver le navire. Le théâtre est tantôt transformé en "garage", tantôt temple du grand spectacle. Pendant cette période, quelques œuvres mémorables verront leur production : Le Cyrano de Jacques Weber (1983) , les trois mois de triomphe de Barbara (1990). La patte de l’opérette et la comédie musicale subsiste, avec des oeuvres tels que Cabaret, mis en scène par Jérôme Savary (1986),My Fair Lady (1995) ou encore Hair (1997). Les premières standing ovations ont lieu sur des spectacles tels que La révolution française (1974) ou Les Misérables (1991).
Histoire moderne du théâtre Mogador
En 2005, le théâtre Mogador est racheté par le groupe Stage Entertainment. Créé en 1998 Par Joop Van Den Ende (créateur du groupe Endemol), Stage Entertainment est présent dans 8 pays, avec pas moins de 16 théâtres en Europe (France, Allemagne, Pays-Bas, Espagne, Italie). Des tournées sont également organisées de manière récurrente aux UK et USA.
La particularité de Stage Entertainment France est qu'il s'agit d'une entreprise à trois casquettes : à la fois producteurs de spectacle, gérants de lieu et loueurs (pour les évènements).
Le théâtre comporte 1615 places numérotées, ce qui en fait l’un des trois théâtres privés les plus imposants de Paris en terme de jauge. Il comporte également 1000m2 d’espaces locatifs, dont 7 salons et foyers. Si les dorures du théâtre semblent d'époque, elles ont néanmoins toutes été refaites en 2017. Moquettes rouge, lustres, dorures sont en réalité la signature du groupe Stage Entertainment. Il s’agit de l’identité décorative des théâtres de l’entreprise.
